Prévenir les atteintes


Le 9 March 2018

(Référence de l'article : 2191)

  1. Mesures techniques de protection (MTP)

Les mesures techniques de protection (en anglais, Digital rights management ou DRM) sont des dispositifs dont l’objectif est de contrôler l’utilisation des œuvres numériques en empêchant l’utilisateur de réaliser des actes non autorisés par le titulaire des droits, tels que les copies.

En droit communautaire, l’article 7.1 – « Mesures spéciales de protection » de la directive 2009/24/CE fait référence aux mesures techniques de protection en les définissant comme « tout dispositif technique éventuellement mis en place pour protéger un programme d’ordinateur ».

L’article 6.3 de la directive 2001/29/CE définit, quant à lui, les mesures techniques comme « toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ».

    1. La nature des MTP

La directive 2001/29/CE, au sein de son article 6.3, liste quelques exemples de mesures techniques de protection. Ainsi le titulaire de droits pourra appliquer « un code d’accès ou un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre ou un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection ».

Les mesures techniques de protection revêtent très souvent la forme d’un logiciel mais ne sont pourtant pas considérées comme tel au sens du droit français.  Ainsi, l’Hadopi, dans un avis rendu en 2013, a indiqué que les mesures techniques de protection, ne constituent pas des logiciels en tant que tels mais l’accessoire d’un élément plus complexe et que donc les exceptions prévues à l’article L122-6-1 du code de la propriété intellectuelle telles que la décompilation ne peuvent pas être exercées par les utilisateurs (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, avis n°2013-3 sur saisine de l’association VidéoLAN, 8 avril 2013).

    1. La protection des MTP

Les mesures techniques de protection sont implicitement protégées puisqu’il est interdit d’y porter atteinte. En effet, l’article L122-6-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « toute publicité ou notice d’utilisation relative aux moyens permettant la suppression ou la neutralisation de tout dispositif technique protégeant un logiciel doit mentionner que l’utilisation illicite de ces moyens est passible des sanctions prévues en cas de contrefaçon ».

Quant à l’article R335-2 du code de la propriété intellectuelle, relatif aux sanctions, il ajoute que : « toute publicité ou notice d’utilisation relative à un moyen permettant la suppression ou la neutralisation de tout dispositif technique protégeant un logiciel, qui ne comporte pas la mention en caractères apparents que l’utilisation illicite de ces moyens est passible des sanctions prévues en cas de contrefaçon, est punie des peines prévues pour les contraventions de la troisième classe ».

En droit communautaire, l’article 7.1 de la directive 2009/24/CE confie aux Etats membres le soin de prendre « les mesures appropriées à l’encontre des personnes qui mettent en circulation ou qui détiennent à des fins commerciales tout moyen ayant pour seul but de faciliter la suppression non autorisée ou la neutralisation de tout dispositif technique éventuellement mis en place pour protéger un programme d’ordinateur ».

Il ressort de ces articles qu’en droit spécifique des logiciels, le législateur ne sanctionne pas les actes de neutralisation et de suppression, en eux-mêmes, mais les actes préparatoires permettant de faire circuler le moyen de contournement des mesures techniques de protection.

Il en est autrement en droit d’auteur « classique » puisque l’article 6.1 de la directive 2001/29/CE dispose que : « les Etats membres prévoient une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace que la personne effectue ou en ayant des raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif ».

Cette disposition a été transposée en droit français aux articles L331-5 et suivants du code de la propriété intellectuelle et ne sont pas applicables aux mesures de protection portant sur un logiciel. En effet, l’article L331-5 dispose que : « les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur d’une œuvre, autre qu’un logiciel, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme sont protégées dans les conditions prévues au présent titre ».

Quant à l’article 11 du traité de l’OMPI concernant toutes les œuvres de l’esprit, il prévoit que « les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi ».

La Cour de cassation a considéré comme « illicite la vente à cet acquéreur de procédés lui permettant d’établir lui-même, en plus grand nombre, des copies du logiciel original, lesquelles ne comporteraient pas le système de protection dont celui-ci est doté » (Com., 22 mai 1991, pourvoi n°89-11390).

La cour d’appel de Bastia a considéré que, constituait un délit de contrefaçon sur le fondement des articles L122-6 et suivants du code de la propriété intellectuelle, le fait « d’inclure dans les logiciels protégés des programmes anti-piratage de nature à permettre aux internautes de contourner les protections » (CA Bastia, ch. correctionnelle, 15 novembre 2006).

    1. Les limites aux droits des utilisateurs

La protection des MTP n’est pas censée faire obstacle à la mise en œuvre des droits des utilisateurs sur les logiciels.

      1. Les MTP et le droit à l’interopérabilité

En vertu de l’article L122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle qui transpose l’article 6 de la directive 2009/24/CE, la décompilation d’un logiciel est autorisée à des fins d’interopérabilité par l’utilisateur, qui a acquis de manière légitime le logiciel. Se pose donc la question de savoir comment concilier les mesures techniques de protection qui permettent de contrôler l’accès et/ou l’utilisation d’un logiciel avec le droit de l’utilisateur de décompiler le logiciel à des fins d’interopérabilité.

L’article L331-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur. Les fournisseurs de mesures techniques donnent l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité dans les conditions définies au 1° de l’article L. 331-39 et à l’article L. 331-40. Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des dispositions de l’article L. 122-6-1 du présent code ».

Ces dispositions visent vraisemblablement à garantir l’interopérabilité entre une mesure technique de protection de nature logicielle et un logiciel permettant de lire une œuvre.

Sur le seul fondement de l’article L122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle, l’utilisateur devrait donc pouvoir neutraliser une mesure technique de protection portant sur un logiciel à des fins d’interopérabilité.

A ce titre, l’article L331-32 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service peut, en cas de refus d’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité, demander à la Haute Autorité de garantir l’interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, et d’obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité ». Cette possibilité semble toutefois s’appliquer uniquement aux professionnels et non aux particuliers.

      1. Les MTP et le droit de corriger les erreurs

Selon l’article L122-6-1 I du code de la propriété intellectuelle, « les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6 ne sont pas soumis à l’autorisation de l’auteur lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs ».

L’article prévoit également que « l’auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6, nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser ».

En pratique, il est fréquent que, lorsqu’une mesure technique de protection est intégrée à un logiciel, l’éditeur du logiciel ait inséré une clause au contrat de licence afin de ne pas permettre à l’utilisateur de corriger lui-même les erreurs.

      1. Les MTP et le droit de réaliser une copie de sauvegarde

En matière de logiciels, « l’utilisateur, ayant le droit d’utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l’utilisation du logiciel » (article L122-6-1 II du code de la propriété intellectuelle). Contrairement au droit de correction des erreurs, le droit de réaliser une copie de sauvegarde ne peut pas faire l’objet d’une limitation contractuelle.

L’utilisateur devrait donc pouvoir neutraliser une mesure technique de protection portant sur un logiciel dans le but d’effectuer une copie de sauvegarde.

  1. Dépôt du logiciel

Le dépôt d’un logiciel consiste, pour un titulaire de droits, à confier sa création ou une copie de sa création à un tiers séquestre dans le but de se préconstituer la preuve de ses droits sur la création.

    1. L’absence d’obligation légale

Selon l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». La protection par le droit d’auteur est donc automatique et intervient dès la création de l’œuvre par son auteur.

A l’inverse de la propriété industrielle (marques, brevets, dessins & modèles), le dépôt du logiciel n’est pas obligatoire pour permettre à son auteur de bénéficier de droits d’auteur sur le logiciel. Un logiciel non déposé sera protégé par le droit d’auteur, sous réserve qu’il réponde aux conditions de protection fixées par le législateur.

    1. Le dépôt probatoire

Bien que le dépôt d’un logiciel ne soit pas obligatoire, il est conseillé au titulaire de droits d’effectuer un dépôt dit « probatoire » dont l’objectif est de rapporter plus facilement la preuve de ses droits en cas de contrefaçon du logiciel. Ce type de dépôt est proposé par l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) mais peut également être effectué auprès d’un huissier, de l’Inpi par le biais de l’enveloppe Soleau, etc.

S’il n’est pas créateur de droits, le dépôt probatoire permet de revendiquer des droits, de se pré-constituer la preuve de sa titularité sur ces droits et donc d’anticiper différents problèmes probatoires en matérialisant le contenu et les évolutions de la création, prouvant la date de la création et la paternité sur la création, etc.

Il a ainsi été jugé que « le dépôt à l’APP n’est pas attributif de droit et ne fait que le constater » (TC Nanterre, 9e ch., 7 mai 1997).

Le dépôt probatoire est valable et reconnu par les tribunaux et dans tous les pays signataires de la Convention de Berne, comme en témoigne un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris qui considère que le dépôt auprès de l’APP permet d’établir la preuve de ses droits d’auteur sur le logiciel (CA Paris, 6 octobre 1995, Microformatic / Jean-Bernard C. / APP).

    1. Le dépôt légal

Le dépôt légal à la Bibliothèque nationale de France, issu de la loi du 20 juin 1992 et modifié par la loi n°2006-961 dite « loi DADVSI » du 1er août 2006, permet la collecte des logiciels dans un but de conservation du patrimoine informationnel. Ce dépôt légal est obligatoire mais ne conditionne pas la protection par le droit d’auteur. Il s’agit également d’un dépôt gratuit.

L’article L131-2 du code du patrimoine dispose que : « les logiciels et les bases de données sont soumis à l’obligation de dépôt légal dès lors qu’ils sont mis à la disposition du public par la diffusion d’un support matériel, quelle que soit la nature de ce support. Sont également soumis au dépôt légal les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l’objet d’une communication au public par voie électronique ».

Dans quel cas ce dépôt légal est-il obligatoire ? Selon l’article R132-9 du code du patrimoine créé par le décret d’application n°2011-574 du 24 mai 2011, « les logiciels et les bases de données sont déposés à la Bibliothèque nationale de France dès lors qu’ils sont mis à la disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, par diffusion en nombre d’un support matériel de quelque nature que ce soit ».

Attention, le dépôt probatoire et le dépôt légal n’ayant pas la même finalité, l’un ne peut pas se substituer à l’autre.