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Comprendre les enjeux de la protection du patrimoine immatériel et le fonctionnement d’une blockchain

Article rédigé par Philippe Thomas, président de l’Agence pour la Protection des Programmes.

Temps de lecture : 7mn| Blockchain

La CNIL définit la blockchain comme « une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle ». Dit plus simplement le protocole blockchain est un système qui permet d’établir avec certitude « que quelqu’un a fait une transaction à une date certaine » de manière bien plus efficace que les systèmes centralisés. Elle a fait apparaître toute une série de concepts, tels que la désintermédiation, la confiance, la sécurité et la traçabilité des données, concepts qui ont amené certains acteurs du marché de la propriété intellectuelle à proposer la blockchain comme alternative aux systèmes de protection de la PI gérés par des tiers de confiance centralisés. Mais le recours à la technologie blockchain apporte-t-il les mêmes niveaux de protection de la PI ?  

L’APP se propose de décrypter ce sujet complexe au travers d’une série de 4 articles sur le thème « Blockchain et protection de la propriété intellectuelle : bien comprendre les limites », qui paraîtront sur notre site sur les semaines à venir. 

Dans ce premier article, nous allons nous attacher à comprendre les enjeux de la protection du patrimoine immatériel et le fonctionnement d’une blockchain. 

1. Les enjeux liés à la protection du patrimoine immatériel et de la propriété intellectuelle en particulier 

Plus de 65% de la valeur d’une entreprise provient de son capital immatériel 

En 2021 on estimait que plus de 65% de la valorisation d’une entreprise provenait de son capital immatériel (1). Cette proportion tend à augmenter significativement dans des entreprises jeunes ou des sociétés qui possèdent peu d’actifs matériels (par exemple AirBnB qui ne possède aucun appartement). Aujourd’hui, le patrimoine d’une entreprise n’est donc plus seulement matériel. Sa valeur s’appuie en effet aussi sur d’autres éléments, dits intangibles, comme le savoir-faire, les méthodes de travail, les noms de domaine, les techniques d’innovation, les marques, les brevets, les bases de données et les droits d’auteur.  

Cette croissance de la valeur accordée aux actifs immatériels va de pair avec une montée en puissance d’outils et de technologies destinés à apporter une meilleure sécurité et une meilleure traçabilité de ces actifs. Il ne se passe pas un jour sans que les termes de RGPD, de cybersécurité, de cryptographie et de blockchain ne soient abordés dans des sujets d’actualité. Ces sujets montrent que les actifs immatériels sont devenus des valeurs convoitées et qu’il est indispensable que les personnes morales ou physiques qui en sont propriétaires fassent les bons choix en matière de protection de ces actifs. Nous verrons ainsi par exemple que la blockchain n’est pas toujours la bonne solution à choisir pour protéger au mieux les droits d’auteur de ses créations numériques.    

2. Qu’est-ce que le patrimoine immatériel ? 

Par définition, le patrimoine immatériel est composé d’éléments difficiles à matérialiser donc intangibles et hétérogènes. Ces caractéristiques rendent ardues : 

  1. l’identification des éléments qui le constituent, 
  2. l’établissement de la preuve de leur existence,  
  3. l’affirmation de la titularité des droits ou de la propriété, 
  4. le management de ces actifs. 

Un certain nombre de professionnels estiment ainsi que la blockchain peut permettre de résoudre ces difficultés en proposant une gestion simple et rapide du patrimoine immatériel d’un individu ou d’une entreprise. Nous avons effectivement vu en introduction que la blockchain permet de tracer des données numériques de façon fiable et certaine. En revanche, son utilisation comme preuve juridique est plus contestable et n’apporte pas les mêmes niveaux de services et garantie qu’un tiers de confiance, notamment pour prouver la paternité d’une creation lors d’un litige. Le lien entre un actif et son auteur est en effet quasi impossible à démontrer sur une blockchain. 

Prouver le lien entre une œuvre gérée sur une blockchain et son auteur est extrêmement difficile

Ces deux points seront développés plus en détail dans les prochains articles de notre série « Blockchain et protection de la propriété intellectuelle : bien comprendre les limites » 

3. Présentation rapide des technologies dites de blockchain 

En quelques années, la blockchain s’est démocratisée pour devenir un sujet récurrent dans des conférences, des revues, des travaux de recherche, des magazines d’information, etc. Elle est entrée dans le quotidien des entreprises et d’une partie du grand public, notamment à travers les cryptomonnaies, qui dans l’esprit collectif, sont intimement associées à la blockchain et plus récemment les NFT (Non Fongible Token). 

Pour rappel, la blockchain repose sur différentes technologies incluant les réseaux peer-to-peer, la cryptographie et les mécanismes de consensus afin de créer un environnement réputé inaltérable. De façon simplifiée, on peut définir la blockchain comme une technologie de stockage et de transmission d’informations au sein de laquelle la vérification des données et la validation des transactions sont effectuées par consensus sans l’intervention d’un organe de contrôle central. 

Concrètement, chaque transaction enregistrée dans la blockchain est intégrée dans un bloc qui va devoir être miné pour prendre place de façon définitive au sein la chaîne. Le minage consiste à valider l’ensemble du bloc en effectuant des opérations de calcul mobilisant une quantité d’énergie importante. 

Il est opéré par des mineurs, qui sont des membres de la blockchain dotés de grandes capacités de traitement. L’énergie mobilisée par ces derniers va matérialiser la preuve de travail, ou « proof of work», qui va légitimer le bloc et lui permettre d’être intégré dans la chaîne. 

Plusieurs mineurs vont travailler en même temps sur les blocs. Le premier mineur qui aboutit au résultat est récompensé par un crypto-carburant. Ce dernier varie selon la blockchain. Ce gain peut prendre la forme de crypto- monnaie, d’espaces de stockage, ou du bénéfice gratuit d’une des prestations gérées par la blockchain (4). 

Ce mécanisme d’incitation est très important car il va permettre de mobiliser un plus grand nombre de mineurs. Or plus le nombre de mineurs est important, plus la concurrence est forte et plus le consensus est puissant. 

Caractéristiques de la blockchain : validation par consensus, utilisation de techniques cryptographiques, base de données distribuée  

Les caractéristiques principales de la base de données constituée par la blockchain sont : 

  • la validation par consensus : pour être inscrite dans la blockchain, chaque transaction doit être validée par le minage d’un bloc. Cette opération demande de grandes ressources d’énergie, ce qui garantit l’intégrité de la chaîne. Il est, en effet, quasiment impossible de falsifier le résultat et donc de compromettre le contenu de la chaîne ; 
  • l’utilisation de techniques cryptographiques pour garantir le caractère immuable de la chaîne : chaque bloc fait l’objet d’un hachage complexe qui garantit à la fois son contenu et sa place au sein de la chaîne ; 
  • la distribution de la chaîne : il s’agit d’une base de données distribuée. Cela signifie que plusieurs exemplaires de la chaîne existent simultanément sur différents nœuds. Un nœud correspond à un équipement informatique qui a été intégré par son propriétaire au sein de la blockchain soit en y effectuant une transaction soit en y effectuant un minage. Ce caractère distribué permet de reconstituer l’intégralité de la chaîne à tout moment même en cas d’attaque sur certains nœuds. Cela augmente ainsi la sécurité de la base de données. Il donne également la possibilité à chaque utilisateur de remonter l’historique de la chaîne afin de contrôler la validité des transactions. 

De nombreux ouvrages explicitent en détail le fonctionnement technique de la blockchain et notre propos n’est pas d’entrer dans ces détails. Les prochains articles monteront en quoi les différentes caractéristiques de la blockchain peuvent apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les entreprises dans la gestion de leur patrimoine immatériel et étudieront l’impact que peuvent avoir les technologies de blockchain sur deux problématiques majeures de la propriété intellectuelle : l’administration de la preuve et la gestion des droits.  

Sources :

  1. Sylvie Gamet – https://nowall-innovation.com/wp/actifs-immateriels-valeur-entreprise/ 

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