La propriété intellectuelle dans la valorisation du logiciel lors des levées de fonds – droit d’auteur, brevets : points de vigilance !
Article rédigé par Pascaline VINCENT et Ghislain de TREMIOLLES, associés
du Cabinet CASALONGA.
Temps de lecture : 8mn| Propriété Intellectuelle
Dès lors qu’une entreprise envisage une levée de fonds, elle doit effectuer quelques vérifications relatives à ses principaux atouts, le cas échéant mettre en ordre ce qui peut et doit l’être et anticiper les questions que ne manqueront pas de lui poser les investisseurs potentiels. Cela est vrai, en particulier, pour les sociétés dont une partie substantielle de la valeur repose sur un ou plusieurs logiciels. Du côté des investisseurs, certaines vérifications sont indispensables pour envisager un investissement aussi serein que possible.
Comme cela ressort de l’analyse qui suit, la propriété intellectuelle joue un rôle essentiel sur la valorisation des logiciels dans le cadre des levées de fonds.
Une vigilance particulière doit ainsi être apportée notamment sur les points suivants :
- le logiciel est-il (bien) protégé ?
- quels sont les titulaires des droits sur le logiciel ?
- l’entreprise / la cible peut-elle exploiter librement son logiciel ?
- comment garantir les droits de l’entreprise / la cible sur son logiciel ?
1. Le logiciel est-il (bien) protégé ?
Quels sont les éléments qui font la valeur d’un logiciel ?
Pour déterminer si le logiciel dispose d’une protection adéquate, il convient tout d’abord de déterminer ce qui fait sa valeur. Est-ce l’ergonomie de l’interface graphique ? La nature des fonctions proposées ? La qualité des résultats obtenus ?
Lorsque ces points ont été identifiés, il convient de vérifier s’ils sont bien protégés avec les différents outils mis à disposition par le législateur, en particulier le droit d’auteur, la marque, les dessins et modèles, le brevet et le secret des affaires, lesquels peuvent être combinés efficacement.
A titre d’exemple : l’interface graphique pourra être protégée par le droit d’auteur, par dessin et modèle et/ou par brevet.
Il est rappelé ici que si le droit d’auteur protège la forme, le fond peut être protégé par brevet, sous réserve que l’objet à protéger soit une solution technique nouvelle et impliquant une activité inventive. L’absence de formalité du droit d’auteur ne devra pas être considérée trop strictement. Un dépôt APP ou un constat se révèlera très utile pour prouver un contenu, une date ou encore établir une présomption de titularité.
L’investisseur pourra aussi chercher à savoir, dès le stade de la levée de fonds, si l’entreprise dispose d’éléments permettant d’établir l’originalité du logiciel, notamment dans la perspective d’un contentieux ou pour bénéficier du régime fiscal de faveur, dénommé « IP Box », applicable aux logiciels.
Le cas de la protection du logiciel par brevet, dessins et modèles, secret des affaires
En cas de protection par brevet, il faudra vérifier que des contrats de confidentialité ou des clauses de non-divulgation d’informations auront été utilisés à bon escient pour préserver la nouveauté de l’invention avant son dépôt. Il faudra également vérifier que la portée des droits est en adéquation avec les besoins auxquels ils sont censés répondre, par exemple qu’un brevet obtenu pour protéger un aspect du logiciel ne puisse pas être aisément contournable par un tiers. Les procédures de délivrance des brevets seront aussi examinées pour identifier d’éventuelles faiblesses.
En cas de cumul de brevet et de dessins et modèles, le timing des dépôts de la demande de brevet et du modèle ainsi que les dessins utilisés dans ces deux cas seront analysés pour apprécier le niveau de protection.
En cas de protection du logiciel par le secret des affaires (notamment concernant le code source, l’algorithme ou les fonctionnalités), il faudra vérifier que le secret des affaires est protégé avec des mesures adéquates pour éviter le risque d’une divulgation qui serait alors irrémédiable.
2. Quels sont les titulaires des droits sur le logiciel ?
Titulaires de droits et cas particuliers
S’agissant du droit d’auteur sur le logiciel, par exemple sur son code ou ses interfaces graphiques, il est essentiel d’identifier le ou les contributeurs ainsi que les modalités de création du logiciel. Il est rappelé que si, selon le principe général, l’auteur est titulaire des droits sur son œuvre, il existe une dérogation en matière de logiciel : une dévolution des droits est opérée en faveur de l’employeur, dès lors que le logiciel est créé par un employé dans l’exercice de ses fonctions ou sur instructions de l’employeur, en application de l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle, sauf stipulations contraires du contrat.
Une revue des contrats de travail et des instructions devra ainsi être organisée et pourra donner lieu, le cas échéant, à une remise à plat avec les services des ressources humaines.
Une vigilance particulière devra être apportée à certaines personnes, par exemple le fondateur et le dirigeant mandataire social qui ne bénéficient pas du régime de dévolution automatique, l’ancien salarié d’un concurrent, le stagiaire s’il ne peut pas bénéficier du régime de dévolution prévu à l’article L. 113-9-1 du Code de la propriété intellectuelle, etc.
En cas de création du logiciel en externe, une cession expresse des droits sur le logiciel devra être mise en place, par exemple en cas de sous-traitance ou de contrat de développement spécifique.
De même, si l’œuvre est le fruit de plusieurs contributeurs, le rôle de chacun devra être étudié afin de vérifier le régime applicable et sécuriser les droits de l’entreprise sur le logiciel.
De façon similaire, les liens des inventeurs avec la société seront analysés pour vérifier que celle-ci est titulaire des droits sur les brevets mis en œuvre dans le logiciel.
Le cas d’utilisation de logiciel en open source et de l’IA
Par ailleurs, l’utilisation de codes open source, dont les conditions d’utilisation peuvent être contraignantes, voire susciter des problématiques de compatibilités, et/ou qui peuvent contaminer un code propriétaire, doit également attirer l’attention de la société et de l’investisseur. Une cartographie du logiciel pourra être recommandée dans certains cas.
Enfin, l’existence de conditions d’utilisation d’intelligence artificielle générative, prévues par la société à destination de ses salariés et plus généralement des contributeurs, devra être vérifiée pour s’assurer de la non-divulgation des codes.
3. L’entreprise ou la cible peut-elle exploiter librement son logiciel ?
La liberté d’exploitation du logiciel devra être étudiée avec grand soin, par exemple pour vérifier qu’un brevet tiers ne saurait empêcher l’utilisation du logiciel. A cet égard, il est rappelé qu’un brevet confère un monopole d’exploitation, mais n’est en aucun cas un droit d’exploiter (un brevet d’amélioration peut notamment entrer dans la portée d’un brevet de base).
De même, si l’entreprise utilise un logiciel ou des modules sous licence, cette dernière devra être analysée avec précision pour en connaître le contour et notamment les obligations et les limites d’exploitation du logiciel sous licence, par exemple l’existence d’une exclusivité, la durée de l’engagement, les conditions d’exploitation, les conditions de modifications ou d’adaptation, le sort des perfectionnements, etc.
Il pourra ainsi être recommandé de renégocier une licence dont l’étendue aura été mal définie, afin de lever les risques.
4. Comment garantir les droits de l’entreprise ou de la cible sur son logiciel ?
La pérennité du logiciel étant un élément essentiel à son exploitation par la société, l’investisseur cherchera à s’assurer que ce qui fait la valeur de l’entreprise n’est pas transmis à des tiers. Les contrats de partenariats, de prestations de services, de sous-traitance ou de consortium impliquant souvent la définition des « connaissances propres » ou « connaissances antérieures » seront particulièrement examinés. La présence de clause de non-concurrence au sein des contrats de travail des salariés ayant joué un rôle clé dans le développement du logiciel fera également l’objet d’une vérification, afin d’estimer un éventuel risque de concurrence.
Les contrats de cession de droits et les pactes d’associés ou d’actionnaires devront en outre être étudiés pour vérifier l’existence de garanties et l’absence d’exclusion de garantie.
La portée temporelle du monopole lié aux droits de propriété intellectuelle sur le logiciel et la pérennité des parties logicielles licenciées par des tiers, en particulier la portée de la licence et l’accès aux sources en cas de défaillance, devront faire l’objet d’une vigilance particulière, car ces questions auront elles aussi un impact sur la valeur de l’entreprise et les conditions de la levée de fonds envisagée.
Conclusion :
L’analyse détaillée des droits de propriété intellectuelle sur les logiciels se révèle être un pilier fondamental lors des levées de fonds. Une gestion rigoureuse de ces aspects permet non seulement de sécuriser les investissements, mais aussi de renforcer la position concurrentielle de l’entreprise sur le marché. En s’assurant de la protection adéquate des logiciels, les entreprises peuvent attirer plus facilement les investisseurs et maximiser leur valorisation. Ainsi, en investissant dans la sécurisation de la propriété intellectuelle, les entreprises érigent des fondations solides pour leur croissance future et leur succès à long terme.
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