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Protection des bases de données, comment justifier de ses droits ?

Article rédigé par Sylvie ROZENFELD

Rédactrice en chef d’Expertises.

Temps de lecture : 6mn| Base de données

Le droit sui generis protège le producteur de base de données, à condition qu’il puisse justifier d’investissements substantiels pour sa constitution et non pour sa création. Dans un arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de cassation a précisé quels investissements peuvent être admis pour établir ses droits et permettre ainsi d’interdire toute reproduction même partielle de sa base de données.

 

Comment protéger les droits de propriété intellectuelle d’une base de données ?

Les bases de données constituent un actif important d’une société. Or, beaucoup d’entreprises ignorent encore que le contenu de ces bases peut être protégé par un droit créé par une directive européenne de 1996 et transposé en 1998 dans le code de la propriété intellectuelle :  le droit des producteurs de base de données, dit droit sui generis. Et rares sont celles à intenter une action en justice contre la captation partielle ou totale de leurs données. En plus d’être mal connu, ce droit n’est pas simple à mettre en œuvre en raison de l’exigence de la preuve à apporter sur les investissements substantiels pour la constitution d’une base de données, condition unique de cette protection. Ce droit revient au producteur, à savoir celui qui a pris l’initiative et le risque des investissements correspondants. Il l’autorise à interdire l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu. Pour en bénéficier, le producteur doit toutefois être en mesure de produire des justificatifs d’investissements substantiels. Mais seules seront prises en compte les sommes consacrées à la constitution de la base de données et non à sa création. Reste à déterminer ce qui relève de la constitution d’une base de données. La Cour de cassation a récemment apporté des précisions sur les investissements substantiels éligibles.

Selon l’article L. 341-1 du CPI, « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». L’exploitant d’une base de données doit donc justifier d’investissements substantiels pour la constitution, la vérification et la présentation de cette base de données pour prétendre être titulaire du droit sui generis de producteur.

Les investissements pour la création des données ne sont pas considérés, ni ceux pour la gestion de données.

 

Comment déterminer les investissements à prendre en compte pour bénéficier du droit sui generis sur une base de données ? Le cas leboncoin.fr

 

Dans l’arrêt de la première chambre civile du 5 octobre 2022, la Cour de cassation apporte des éléments permettant de caractériser les investissements qui relèvent de la recherche d’éléments existants et de leur rassemblement, ou ceux pour la création des éléments constitutifs d’une base de données ; un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont le producteur demande la protection.

 

L’affaire opposant Entreparticuliers.com et Leboncoin.fr : les faits

Cette affaire opposait Entreparticuliers.com, qui propose aux particuliers depuis 2000 un service payant d’hébergement d’annonces essentiellement immobilières, au site Leboncoin.fr, qui a été ouvert en France en 2006, et qui diffuse gratuitement des annonces pour tous types de biens. Celui-ci est devenu le premier site français de petites annonces en ligne, notamment dans la catégorie « immobilier ». Pour maintenir un volume d’annonces, Entreparticuliers.com avait souscrit auprès du sous-traitant Directannonces un service de piges lui fournissant toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers en France, dont les annonces parues sur Leboncoin.fr qu’Entreparticuliers.com avait reprises sans autorisation. C’est ainsi que Leboncoin.fr a assigné Entreparticuliers.com en contrefaçon sur le fondement du droit d’auteur et du droit sui generis du producteur.

Comme le TGI de Paris, la cour d’appel a reconnu que Leboncoin.fr a la qualité de producteur de base de données et bénéficie en conséquence de la protection du contenu de la base. Selon la cour, Leboncoin.fr justifie de moyens substantiels consacrés à la constitution, la vérification et la présentation de la sous-base de données « immobilier », l’autorisant ainsi à invoquer la protection au titre des articles L. 341-1 et L. 342-5 du CPI.

La Cour de cassation a approuvé le raisonnement de la cour d’appel, et rappelle que la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l’exclusion des moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs d’une base de données. Ainsi, le titulaire d’une base de données doit justifier d’un investissement destiné à la collecte d’une information existante (obtention ou constitution du contenu de la base de données), fiable (vérification du contenu de la base de données), organisée et accessible (présentation du contenu de la base de données).

 

L’affaire opposant Entreparticuliers.com et Leboncoin.fr : les éléments concrets retenus pour justifier d’un investissement dans la constitution de la base de données

 

La Cour retient d’abord les sommes consenties au titre de l’obtention du contenu. Cela comprend les investissements de communication, les dépenses de stockage et plus généralement les investissements liés aux infrastructures informatiques permettant d’assurer l’enregistrement et le stockage de toutes les modifications dont la traçabilité est assurée. La Cour inclut également les efforts portant sur la vérification du contenu, à savoir les investissements liés à l’acquisition d’un logiciel permettant la vérification des annonces dans un premier temps et les coûts liés à la prise en charge d’une équipe chargée de la modération une fois les annonces publiées. Et enfin elle évoque les frais relatifs à la présentation du contenu : en l’occurrence dans cette affaire les dépenses liées à la classification des annonces en 10 catégories elles-mêmes divisées en sous-catégories avec des critères de recherche spécifique selon une arborescence détaillée organisant 28 millions d’annonces, la base étant mise à jour et en conformité par l’équipe « produit ».

 

Mettre en place des outils pour justifier des investissements relatifs à la constitution de la base de données

Maintenant que le champ de droit est mieux défini, il reste aux entreprises à mettre en place des outils et des process pour collecter et conserver les justificatifs des investissements consentis, des documents comptables et contractuels qui mentionnent les frais pour la constitution de la base de données. Dans une interview dans Expertises (n° 425), Nicolas Courtier, avocat spécialisé en propriété intellectuelle, conseille aussi « de mentionner dans le contrat de travail d’un salarié qu’il collabore à la constitution d’une base de données. Quand on embauche un directeur informatique, on ne pense pas à préciser qu’il est notamment en charge de la constitution de la base de données. Si on a affaire à des sous-traitants, l’investissement est plus facile à démontrer car on peut produire des factures. Mais certains clients m’opposent le fait que c’est toute leur entreprise qui travaille pour cette base de données et que ce n’est donc mentionné nulle part ».

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