FOCUS – Le statut des plateformes de contenus en ligne


Le 9 mars 2018

(Référence de l'article : 1607)

Dans un monde où 2,78 millions de vidéos sont vues sur YouTube en une seule minute, se pose plus que jamais la question de la responsabilité des plateformes de contenus en ligne. Par principe et conformément au droit d’auteur, la personne qui publie une œuvre de l’esprit sur un site web sans voir requis au préalable l’autorisation de son auteur se rend coupable de contrefaçon. La question de savoir si le site web, qui héberge le contenu illicite publié par un tiers, se rend coupable des mêmes actes s’est donc rapidement posée.

  1. L’origine de la qualification du statut d’hébergeur

Alors qu’internet n’en était qu’à ses balbutiements et que les géants du net n’existaient pas encore, la directive 2000/31/CE, aussi connue sous le nom de « directive sur le commerce électronique », a défini le prestataire d’hébergement comme celui qui met à disposition un service consistant à « stocker des informations fournies par un destinataire du service » 1.

La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui transpose la directive de 2000, définit l’hébergeur comme toute personne physique ou morale qui assure « même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » 2.

Par ces définitions, le législateur entend assimiler l’hébergeur à un simple disque dur qui stocke les sites et contenus de ses clients et les rend accessibles via une connexion internet comme le fait, par exemple, le prestataire OVH.

  1. L’application de la qualification d’hébergeur par la jurisprudence

Avec le développement d’internet, des technologies et l’émergence du « web 2.0 », il suffit aujourd’hui de quelques secondes pour publier des vidéos, des photos, de la musique et/ou du texte sur internet, ce qui n’est pas sans conséquence en termes de protection des droits d’auteur. Ce faisant, les plateformes de contenus en ligne ont bouleversé l’internet de la directive de 2000 et de la LCEN. La jurisprudence a donc eu la lourde tâche de se positionner sur leur statut : sont-ils de simples hébergeurs de contenus ou de véritables éditeurs ?

    1. Google, le service de référencement

Dans plusieurs arrêts célèbres de 2010, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée en faveur du statut d’hébergeur pour le service de référencement proposé par Google dans la mesure où ce dernier n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées 3. Elle rappelle également que l’hébergeur doit être neutre et avoir un rôle purement technique, automatique et passif.

    1. Dailymotion, le site de vidéos en ligne

En 2011, c’est au tour du site Dailymotion de revendiquer le statut d’hébergeur. En l’espèce, un film avait été publié sur cette plateforme sans l’autorisation des titulaires de droits. La Cour de cassation a considéré que Dailymotion n’agit qu’en qualité d’hébergeur dans la mesure où le réencodage et le formatage des vidéos mises en ligne sont des opérations purement techniques qui n’induisent pas une sélection par la plateforme des contenus mis en ligne 4.

    1. eBay, le site d’e-commerce

A l’inverse, dans un arrêt de 2012, la Cour de cassation a considéré que, dans la mesure où le site eBay fournit des informations permettant aux vendeurs d’optimiser leurs ventes, les assiste dans la description des objets mis en vente, il joue un rôle actif de nature à lui conférer la connaissance et le contrôle des informations stockées. En conséquence, le site eBay n’agit pas en qualité d’hébergeur mais d’éditeur 5.

Il ressort de ces arrêts que sont exclus de la qualification d’hébergeur, les sites internet qui :

  • Sélectionnent, classent, organisent et/ou contrôlent le contenu transmis afin d’en faciliter l’accès au public ;
  • Ne jouent pas un rôle purement technique, automatique et passif.
  1. Les conséquences de la qualification d’hébergeur

La LCEN a fidèlement transposé l’article 14 de la directive 2000/31/CE qui prévoit une exonération de responsabilité en contrepartie d’une collaboration à la lutte contre la contrefaçon. En effet, les hébergeurs « ne peuvent voir leur responsabilité civile et/ou pénale engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si :

  • ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite […] ;
  • ou si, dès le moment où ils en ont eu cette connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible» 6.

Sur ce dernier point, par une décision du 2 décembre 2014, la Cour d’appel de Paris a condamné Dailymotion à verser plus d’1,2 million d’euros de dommages et intérêts aux sociétés du Groupe TF1 pour non-respect de son obligation de prompt retrait des contenus dont le caractère illicite avait été porté à sa connaissance par de nombreuses mises en demeure 7.

A ce titre, l’hébergeur est uniquement tenu d’être réactif et n’est donc pas tenu d’être proactif. En est-il de même pour un contenu illicite retiré qui serait remis en ligne ? Ce principe du « notice and stay down » n’a pas été retenu par la Cour de cassation, qui rappelle qu’imposer à Google l’obligation d’empêcher toute nouvelle mise en ligne des vidéos contrefaisantes reviendrait à le soumettre à une obligation générale de surveillance des contenus stockés qui est contraire à l’article 6-I-7 de la LCEN.

Cette position a toutefois vocation à évoluer avec la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique du 14 septembre 2016 8. Dans l’optique de permettre aux auteurs de mieux percevoir le fruit de l’exploitation de leurs œuvres, la proposition prévoit notamment d’imposer aux plateformes de contenus en ligne l’obligation de mettre en œuvre des mesures techniques de filtrage des contenus illicites. Ces nouvelles dispositions ne sont pas sans créer des tensions, entre les sociétés d’auteurs, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les défenseurs des libertés fondamentales et les acteurs de la communauté du libre.

En tout état de cause, la proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique reste en attente de la décision de la commission parlementaire. Les débats ne sont donc pas clos et ce, d’autant plus que la version finale du projet de directive devra faire l’objet d’une transposition en droit français.

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1 Article 14 de la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).

2 Article 6-I-2 de la Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

3 CJUE, gde ch., 23 mars 2010, affaire Google (3 arrêts). Dans le même sens : Civ. 1ère, 17 février 2011, pourvoi n°09-13.202, affaire Bloombox.

4 Civ. 1ère, 17 février 2011, pourvoi  n°09-67896, affaire Dailymotion. 

5 Com., 3 mai 2012, pourvoi n°11-10-508, affaire eBay.

6 Articles 6-I-2 et 6-I-3 de la Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

7 CA Paris, 1e ch., 2 décembre 2014, TF1 c/ Dailymotion.

8 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, 14 septembre 2016, COM(2016) 593 final.