FOCUS – La protection juridique d’un site web


Le 9 mars 2018

(Référence de l'article : 1857)

Une multitude de sites internet, professionnels ou non, sont créés chaque jour et dans tous les domaines. Ils nécessitent d’être protégés pour éviter toute copie et/ou reproduction illicite. 

 

  1. La protection d’un site web par le droit d’auteur

 

En vertu de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur confère à l’auteur d’une œuvre de l’esprit des droits exclusifs sur celle-ci. Le droit d’auteur est composé de deux types de droits :

  • les droits patrimoniauxqui ont une durée limitée et peuvent faire l’objet de cession, et donc de rémunération ;
  • les droits morauxqui sont perpétuels et incessibles et ne peuvent faire l’objet d’aucune rémunération.

Si l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle dresse la liste des œuvres de l’esprit susceptibles de bénéficier de la protection du droit d’auteur, le site web n’y est pas expressément mentionné. Cette liste étant toutefois non-exhaustive, le site internet peut bénéficier de la protection du droit d’auteur sous réserve de satisfaire à deux conditions :

  1. le site web doit être original. La jurisprudence a ainsi pu considérer, s’agissant d’un site web, que « le choix de combiner ensemble ces différents éléments selon une certaine présentation procède d’une recherche esthétique, nullement imposée par un impératif fonctionnel, qui confère au site une physionomie particulière le distinguant d’autres sites […]. [A ce titre, les juges] relèvent un effort créatif qui caractérise l’originalité de ce site […]» 1.
  2. le site web doit être matérialisé, c’est-à-dire suffisamment élaboré, ce qui exclut a fortiori de la protection du droit d’auteur les idées, méthodes et concepts restés dans l’intellect d’une personne comme en témoigne un jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux qui a refusé de reconnaitre la qualité d’auteur au créateur du concept du site internet. En l’espèce, les juges ont rappelé que : « si un site internet peut constituer une œuvre de l’esprit protégeable, seul le choix des couleurs, des formes, du graphisme, de l’agencement […] peut lui conférer un tel caractère ; la qualité d’auteur ne pouvant être reconnue à la personne qui s’est limitée à fournir une idée ou un concept » 2.

Rappelons enfin qu’aucune formalité n’est nécessaire pour qu’une œuvre bénéficie de la protection du droit d’auteur, cette protection existant du seul fait de la création de l’œuvre.

 

  1. Les différents régimes de protection des éléments composant un site web

 

Un site web est constitué d’une pluralité d’éléments soumis à des régimes juridiques distincts.

Un site web peut ainsi être composé :

  • d’un nom de domaine ;
  • de créations graphiques (images et photos) et multimédia (vidéo et son) ;
  • d’une interface graphique (arborescence, design, charte graphique) ;
  • des textes et contenus éditoriaux ;
  • d’une dénomination et d’un logo ;
  • de composants logiciels (ex : moteur de recherche, mesure de statistiques) ;
  • d’une ou plusieurs bases de données (base de données produits et clients pour un site d’e-commerce, compilation d’hyperliens).

Il peut exister une pluralité de titulaires de droits sur ces différents éléments dont chacun conserve la protection juridique qui lui est propre.

Ces éléments, dès lors qu’ils remplissent les conditions d’originalité et de formalisation, peuvent bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur. D’autres sont protégés par des régimes de protection spécifiques tels que le droit des bases de données ou le droit des marques.

 

    1. La protection du nom de domaine

 

Une des étapes de création d’un site internet consiste à réserver un nom de domaine auprès d’un bureau d’enregistrement accrédité par l’AFNIC. Selon la règle du « premier arrivé, premier servi », le nom de domaine est attribué à celui qui l’enregistre le premier.

Avant toute réservation de nom de domaine et afin d’éviter un conflit avec un signe distinctif existant, il est vivement recommandé de vérifier si le nom de domaine que l’on souhaite utiliser n’a pas déjà été déposé en tant que marque et/ou n’est pas déjà exploité par un tiers en tant que dénomination sociale, enseigne, nom de domaine, etc. En cas de conflit entre le nom de domaine et une marque antérieure, le titulaire de la marque antérieure pourra agir sur le fondement de la contrefaçon à l’encontre du titulaire du nom de domaine identique ou similaire.

Par ailleurs, l’enregistrement d’un nom de domaine ne confère aucun droit de propriété intellectuelle à son titulaire, c’est pourquoi il est recommandé de déposer le nom de domaine à titre de marque auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). En effet, sans dépôt à titre de marque, seule une action fondée sur la concurrence déloyale sera possible en cas d’utilisation frauduleuse par un tiers d’un nom de domaine similaire et de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public.

 

    1. La protection du contenu

 

L’interface graphique du site web, les contenus éditoriaux et multimédia composant le site web sont protégeables par le droit d’auteur sous réserve qu’ils soient originaux et matérialisés.

En ce sens, par un jugement rendu en 2017, le Tribunal de Grande Instance de Paris a refusé de reconnaitre à la charte graphique d’un site internet la protection par le droit d’auteur en considérant que « le choix des couleurs noir, rouge et gris […] n’est pas le résultat d’une recherche esthétique et d’un effort personnalisé, d’autant que l’utilisation des couleurs rouge et noir en raison du contraste créé par l’association de couleurs opposées est banale ».

Les juges ont également souligné que la société « ne justifie pas des choix qui ont présidé à l’ordonnancement des rubriques et à l’arborescence du site, à la mise en perspective des produits présentés, qui attestent plus d’un savoir-faire commercial commun à d’autre sites marchands qu’à un réel effort créatif, dès lors qu’ils permettent de naviguer aisément sur le site » 3.

 

    1. La protection de la dénomination et du logo

 

Si la dénomination et le logo du site peuvent être protégés par le droit d’auteur, il est également conseillé de les déposer à titre de marque auprès de l’INPI s’ils ont vocation à distinguer les produits ou services commercialisés par le déposant de ceux de ses concurrents.

L’objet du droit d’auteur et du droit des marques est en effet différent : le droit d’auteur protège la forme originale d’une création alors que le droit des marques protège le signe distinctif servant à identifier des produits ou services dans la vie des affaires.

 

    1. La protection du logiciel

 

Pour être considéré comme original et bénéficier de la protection du droit d’auteur, un logiciel doit résulter d’un effort personnalisé portant la marque de l’apport intellectuel de son auteur. A l’inverse, un logiciel issu d’une logique automatique et contraignante ne résultera pas de choix libres et créatifs de son auteur et ne sera pas protégé par le droit d’auteur 4 et 5.

Pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, le logiciel doit également être matérialisé c’est-à-dire suffisamment élaboré. Cette condition exclut la protection des idées et concepts, restés dans l’intellect d’une personne, qui ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation.

 

 

    1. La protection de la base de données

 

Une base de données est définie comme étant « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre ».

Une création qui répond à cette définition est susceptible de faire l’objet d’une double protection :

  • L’architecture de la base (contenant) peut être protégée par le droit d’auteur si elle est originale ;
  • Le contenu de la base et les investissements substantiels engagés pour constituer, vérifier présenter la base peuvent être protégés par le droit sui generis des producteurs de bases de données.

Pour bénéficier de la protection par le droit sui generis (article L341-1 du code de la propriété intellectuelle), le producteur d’une base de données doit justifier de :

  • La réalisation d’un investissement financier, matériel ou humain ;
  • Qui doit être substantiel ;
  • Pour la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de la base de données.

Dans le cadre de cette protection, le producteur de la base peut interdire l’extraction ou la réutilisation de tout ou partie de la base sous peine de sanctions.

 

 

  1. La titularité des droits sur le site web

Selon l’article L113-1 du Code de propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. En pratique, il s’agira soit de l’auteur de l’œuvre soit, en cas de cession, de celui à qui les droits ont été cédés.

Le milieu professionnel ne déroge pas à la règle. Un salarié qui crée une œuvre dans le cadre de son contrat de travail est donc titulaire des droits sur cette œuvre. L’employeur doit dès lors conclure des contrats de cession avec ses salariés pour pouvoir exploiter commercialement les œuvres composant le site internet qu’ils ont créées.

Le logiciel fait toutefois figure d’exception puisque, lorsque un logiciel est créé par un salarié dans l’exercice de ses fonctions ou sur instruction de son employeur, les droits patrimoniaux sont automatiquement dévolus à l’employeur.

 

  1. Prévenir et réagir en cas d’atteinte à un site web
    1. Se prémunir contre les atteintes

Bien que le dépôt d’un site web ne soit pas obligatoire pour que ses différentes composantes soient protégées par le droit d’auteur, il est tout de même conseillé d’effectuer un dépôt dit « probatoire » qui permettra de rapporter plus facilement la preuve des droits de l’auteur en cas de contrefaçon de la création.

Le dépôt effectué auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP) permet en effet de revendiquer des droits, de se pré-constituer la preuve de sa titularité sur ces droits et donc d’anticiper différents problèmes probatoires, notamment en ce qui concerne la date et la paternité de l’œuvre.

Il est possible de déposer auprès de l’APP tous les éléments composant un site web ainsi que des éléments qui ne sont pas protégeables par le droit d’auteur mais qui ont une valeur économique pour l’exploitant du site (éléments de savoir-faire, business plan, documentation marketing et commerciale, etc.).

Il est à noter que c’est le titulaire de droits qui doit déposer à l’APP. Dans le cas d’une pluralité d’auteurs, il est possible de déposer en co-titularité.

 

 

    1. Faire sanctionner les atteintes

 

Le titulaire des droits sur un site internet peut agir sur le fondement de la contrefaçon en cas d’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle ainsi que sur le fondement de la concurrence déloyale et/ou du parasitisme en cas de comportement d’un concurrent contraire aux usages honnêtes du commerce.

Dans une décision rendue en 2013, la Cour d’appel de Versailles a rappelé que la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances et non des différences et a caractérisé la contrefaçon aux motifs que « la combinaison originale des caractéristiques de la page d’accueil du site internet de la société Vente Privée.Com a été reprise sur la page d’accueil de la société Club Privé, selon la même disposition, révélant une impression d’ensemble similaire » 6.

Dans une autre affaire plus récente, l’éditeur du site Dailyfriends a été condamné, sur le fondement du parasitisme, à 8 000€ de dommages-intérêts pour avoir copié le plan, le contenu, le nom et l’agencement des rubriques du site Onvasortir.fr 7.

Il est toutefois à noter que, par un jugement de 2017, le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté le demandeur d’une action en concurrence déloyale, faute d’avoir pu démontrer un comportement fautif de son concurrent. En l’espèce, les juges ont considéré que « le fait que la société Todo Material 3L ait reconnu l’existence de similitudes et qu’elle ait modifié son site à réception de la mise en demeure, ne vaut pas reconnaissance d’une faute engageant sa responsabilité dès lors que la défenderesse a pu vouloir seulement se différencier du site concurrent » 8.

————–

1 CA Versailles, 12e ch., 2 juillet 2013, Vente-Privée.com / Club Privé.

2 TGI Bordeaux, 1ère civ, 8 novembre 2016, X / Octea Ingénierie.

3 TGI Paris, 3e ch., 4e section, 12 janvier 2017, Mycelium Roulement / Todo Material 3L et autres.

4 Ass. Plén. 7 mars 1986, pourvoi n° 83-10477 ; Civ., 1ère ch., 22 septembre 2011, pourvoi n°09-71337 ; Civ., 1ère ch., 14 novembre 2013, pourvoi n°12-20687.

5 TGI Lille, 26 mai 2016, Anaphore et Louis C. / Conseil général de l’Eure.

6 CA Versailles, 12e ch., 2 juillet 2013, Vente-Privée.com / Club Privé.

7 CA Paris, pôle 5, chambre 4, 7 octobre 2015, Netuneed / Charles R.

8 TGI Paris, 3e ch., 4e section, 12 janvier 2017, Mycelium Roulement / Todo Material 3L et autres.