Droit d’auteur : les cas spécifiques de la titularité des droits

Droit d’auteur : les cas spécifiques de la titularité des droits

Article rédigé par Thomas CAVACECE

Temps de lecture : 3mn| Propriété Intellectuelle

En droit de la Propriété Intellectuelle, les logiciels sont considérés comme des œuvres de l’esprit et bénéficient à ce titre de la protection par le droit d’auteur. Le titulaire des droits est la personne physique ou morale qui détient le monopole d’exploitation d’une œuvre. La détermination de celui-ci est donc fondamentale. Cet article se focalisera sur le droit appliqué aux logiciels.

Pour rappel, les créations de l’esprit sont protégées du simple fait de leur création[1]. Pour obtenir cette protection, elles doivent être fixées sur un support et être originales. Si ces deux conditions sont réunies, l’auteur d’une œuvre de l’esprit se voit alors investi des droits moraux et patrimoniaux.

Les droits moraux correspondent aux droits attachés à la personnalité de l’auteur. Il s’agit du droit de divulgation, du droit de paternité, du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, du droit de retrait et de repentir. Ces droits sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. Il existe cependant une limite à ces droits dans le domaine du logiciel. En effet, l’auteur dispose d’un droit au respect de l’œuvre limité et ne peut exercer son droit de retrait ou de repentir[2].

Les droits patrimoniaux correspondent aux droits qui permettent à l’auteur d’exploiter son œuvre. Ces droits sont le droit de reproduction, le droit de traduction, d’adaptation ou de modification et le droit de mettre le logiciel sur le marché[3]. Ces derniers sont cessibles et s’éteignent 70 ans après la mort de l’auteur.

Il est pertinent de noter que cette distinction permet de séparer l’auteur du titulaire de droits.

Si l’auteur est par défaut le titulaire de droit, il existe des situations où auteur et titulaire de droits sont distincts. Il est à noter qu’une personne morale ne peut obtenir la qualification d’auteur[4]. Il existe aussi des situations où la titularité des droits est partagée.

 

La titularité appliquée aux employés et agents publics

Le cas le plus courant est celui du logiciel développé par un employé.

Que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public, le code de la propriété intellectuelle prévoit une cession automatique des droits pour les œuvres créées par un salarié ou un agent public[5]. Pour que cette dévolution automatique des droits soit justifiée, l’œuvre doit avoir été réalisée par l’employé ou l’agent public dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ou sur instruction de l’employeur.

Ainsi, l’employeur ne pourra faire valoir le contrat de travail si l’employé décide de développer un logiciel qui sort de ce domaine. L’employé ne pourra pas non plus prétendre à des droits patrimoniaux sur un logiciel développé dans le cadre de son contrat de travail.

 

L’impact de l’ordonnance de 2021

La situation des stagiaires accueillis au sein de sociétés ou d’établissements de recherche a longtemps été un casse-tête. En effet, la convention de stage n’étant pas un contrat de travail, il n’y avait aucune cession automatique des droits. En l’absence d’un contrat de cession, le stagiaire restait donc entièrement titulaire des droits sur ce qu’il développait.

En 2021, l’ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021[6] a introduit deux nouveaux articles (article l113-9-1 et l611-7-7) dans le code de la propriété intellectuelle afin de corriger ce vide juridique.

L’article l113-9-1 du code de la propriété intellectuelle[7] instaure une cession automatique des droits patrimoniaux sur les logiciels développés par « des personnes qui sont accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche” s’ils sont développés “dans l’exercice de leurs missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil ».

Selon le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021, les personnes concernées sont les stagiaires, doctorants étrangers, professeurs ou directeurs émérites et les personnes en VIE[8].

 

Les autres cas :

Les œuvres de collaboration

Selon l’article L113-2 al. 1 du code de la propriété intellectuelle, « est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ». Soulignons qu’une œuvre de collaboration doit être le résultat d’un « travail créatif concerté »[9] et non pas le résultat d’un amalgame d’œuvres isolées.

Concernant la titularité des droits sur une œuvre de collaboration, l’article L113-3 du code de la propriété intellectuelle a prévu que « l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord ». L’exploitation d’une œuvre de collaboration peut ainsi être bloquée en cas de désaccord des différents auteurs.

En droit communautaire, la directive 2009/24/CE dispose à l’article 2.2 que « lorsqu’un programme d’ordinateur est créé en commun par plusieurs personnes physiques, les droits exclusifs sont détenus en commun par ces personnes ».

 

Les œuvres collectives

L’article L113-2 du code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre collective comme « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

À titre d’exemple, il est possible de citer l’affaire qui a opposé le bijoutier Van Cleef & Arpels à un salarié qui revendiquait des droits sur les dessins réalisés. La jurisprudence a tranché en faveur du bijoutier et a attribué la qualification d’œuvre collective « ces dessins n’étaient que des documents préparatoires à la conception de bijoux, laquelle procédait d’un travail collectif associant de nombreuses personnes, que les sociétés avaient le pouvoir d’initiative sur la création et en contrôlaient le processus jusqu’au produit finalisé en fournissant à l’équipe des directives et des instructions esthétiques afin d’harmoniser les différentes contributions et que celles-ci se fondaient dans l’ensemble en vue duquel elles étaient conçues, sans qu’il soit possible d’attribuer à chaque intervenant un droit distinct sur les modèles réalisés. »[10]

Concernant la titularité des droits sur une œuvre collective, l’article L113-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur ».

 

Conclusion

En conclusion, en cas de doute, il est recommandé de rédiger un contrat de cession afin de sécuriser la titularité des droits. En effet, une mauvaise interprétation peut augmenter le risque juridique.

Il est aussi recommandé d’avoir recours à un conseil juridique pour la rédaction des contrats. Enfin, bien que la protection par le droit d’auteur ne nécessite pas de démarche active, il est fortement recommandé d’effectuer un dépôt de l’œuvre numérique auprès d’un tiers de confiance afin de lui attacher une date certaine de création.

 

 

[1] Article l111-1 du Code de propriété intellectuelle

[2] Article l121-7 du Code de la propriété intellectuelle

[3] Article l122-6 du Code de la propriété intellectuelle

[4] Cass. civ. 1re, 15 janv. 2015, n°13-23.566

[5] Article l113-9 du Code de la propriété intellectuelle

[6] Ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche

[7] Article l113-9-1 du Code de la propriété intellectuelle

[8] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche

[9] Cass. 1ère Civ, 18 octobre 1994, n°92-17-770

[10] Cass., 1ère Civ., 19 décembre 2013, n°12-26.409

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