Éditeurs de logiciels : optez pour l’IP Box !
Article proposé par Racine Avocats et Dynergie
Auteurs : Fabrice Rymarz, Charles Bouffier et Pierre-Alexandre Riveccié
Temps de lecture : 10mn| Fiscalité des logiciels
Après 45 ans de statu quo, la Loi de Finances pour 2019[1] a profondément modifié le régime fiscal de la propriété intellectuelle française.
Ce nouveau régime permet une imposition au taux réduit de 10% des cessions et concessions de licences d’exploitation de certains actifs incorporels, dont les brevets et – principale innovation de la réforme – « les logiciels protégés par le droit d’auteur ». Plus connu sous le nom d’ « IP Box », ce régime est désormais codifié à l’article 238 du code général des impôts.
Auparavant, seules les cessions et concessions de brevets et procédés de fabrication industriels avaient les faveurs du législateur dans le cadre d’un régime dit de la « Patent Box ». Cette évolution de la fiscalité des revenus de la propriété intellectuelle opère une mise en conformité de la législation française avec les recommandations de l’OCDE et de l’UE.
A ce jour toutefois, peu d’éditeurs de logiciels se sont emparés de ce dispositif. Un accompagnement idoine devrait pourtant leur permettre de bénéficier pleinement d’avantages fiscaux substantiels.
Retour sur les spécificités d’un régime fiscal (1) dont les conditions d’application empruntent au droit du logiciel (2) et ont des conséquences pratiques que les éditeurs se doivent d’anticiper (3).
1. Principales caractéristiques du régime fiscal issu de la réforme de 2019
Cette réforme a débouché sur un dispositif législatif dont l’objectif est de concilier le maintien d’un régime fiscal attractif en matière de propriété intellectuelle, qui plus est étendu aux logiciels protégés par le droit d’auteur, tout en étant plus respectueux des engagements internationaux pris par la France en matière de lutte contre l’érosion de la base fiscale.
Aux termes de cette réforme, les revenus nets de la propriété intellectuelle peuvent bénéficier d’un taux réduit d’imposition de 10% (versus 25%) à hauteur des dépenses de recherches réalisées par l’entreprise en France (ou hors de France, lorsque les dépenses sont externalisées à des entreprises sans aucun lien de dépendance).
Ce régime de faveur s’applique, sous certaines conditions[2], aux opérations de cession, concession et sous-concession de certains actifs de propriété intellectuelle (dont les logiciels protégés par le droit d’auteur). Le résultat net soumis au taux de 10 % est déterminé par différence entre :
- les revenus tirés des actifs éligibles, acquis au cours d’un l’exercice, et,
- les dépenses de R&D qui se rattachent directement à ces actifs et qui sont réalisées, directement ou indirectement par l’entreprise, au cours du même exercice.
Le revenu net est ensuite multiplié par un « Ratio Nexus » obtenu selon le rapport suivant :
- au numérateur, les dépenses de R&D engagées par l’entreprise française bénéficiaire du régime de faveur directement ou via des entreprises non liées, pour la création et le développement de l’actif visé ; les dépenses ainsi identifiées sont multipliées par un coefficient de 1,3 (i.e. « coup de pouce » pour rendre le régime attractif) ; sont exclues du numérateur les dépenses de R&D engagées via des entreprises liées et les dépenses d’acquisition d’actifs incorporels éligibles afin de limiter l’application du régime de faveur aux seules activités de R&D réellement supportées par l’entreprise bénéficiaire du régime de faveur ;
- au dénominateur, l’intégralité des dépenses effectuées directement ou indirectement, en lien direct avec cet actif (y compris donc les dépenses d’acquisition d’actifs incorporels et les dépenses de sous-traitance à des sociétés liées, lesquelles venant donc dégrader le ratio et, s’il passe sous 1, le bénéfice intégral du régime).
Enfin, le résultat imposé au taux réduit est égal au résultat net bénéficiaire éligible au régime de faveur après application du Ratio Nexus.
Pour bénéficier de ce nouveau régime de faveur, les entreprises doivent, en interne, se mettre en conformité avec le nouveau cadre législatif de ce régime, qui est applicable sur option expresse, et nécessite la mise en place d’un suivi analytique des dépenses de R&D par origine des dépenses et la production d’une documentation justificative rigoureuse.
Malgré ce travail de mise en place quelque peu fastidieux à effectuer, il ne fait pas de doute que ce nouveau régime est source d’opportunités pour les éditeurs de logiciels en France, qui font partie des gagnants de cette réforme.
A ce titre, l’administration fiscale a clarifié la notion de logiciel[1] en précisant que le régime de faveur s’applique aux logiciels protégés par le droit d’auteur au sens du code de la propriété industrielle. Dès lors, les logiciels doivent présenter un caractère original, tel que précisé ci-après.
2. La condition d’originalité
Aux termes de l’article 238, I, 3° du code général des impôts, le taux d’imposition préférentiel de 10% s’applique notamment au « résultat net de la concession de licences d’exploitation [de] logiciels protégés par le droit d’auteur ».
Selon la doctrine de l’administration fiscale, « le régime prévu à l’article 238 du CGI s’applique aux logiciels protégés par le droit d’auteur au sens du 13° de l’article L. 112-2 du CPI, y compris à leurs versions successives, simultanées ou non. Dès lors, les logiciels en cause doivent présenter un caractère original »[2].
La protection d’un logiciel par le droit d’auteur est en effet subordonnée à la preuve de son originalité, laquelle s’apprécie au regard de « l’apport intellectuel » de son auteur, autrement dit un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante »[3].
Prouver l’originalité d’un logiciel consiste alors à établir que « les choix opérés témoignaient d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de celui qui [a] élaboré le logiciel litigieux »[4].
Concrètement, l’éditeur qui souhaite opter pour le régime de l’IP Box doit être en mesure de fournir tout « élément de nature à justifier de l’originalité des composantes du logiciel, telles que les lignes de programmation, les codes ou l’organigramme, ou du matériel de conception préparatoire »[5].
Il ne peut en revanche rapporter cette preuve en se fondant sur « les langages de programmation mis en œuvre, […] les algorithmes et les fonctionnalités du programme, non protégés par le droit d’auteur »[6].
En particulier, la protection par le droit d’auteur ne peut être revendiquée pour les fonctionnalités d’un logiciel, car « les fonctionnalités d’un logiciel, définies comme la mise en œuvre de la capacité de celui-ci à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé, ne bénéficient pas, en tant que telles, de la protection du droit d’auteur dès lors qu’elles ne correspondent qu’à une idée »[7].
L’administration fiscale a également eu l’occasion de préciser ce qu’elle entendait par logiciels originaux, à savoir « ceux qui :
– résultent d’un travail intellectuel et personnel de leur créateur allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante ;
– constituent une œuvre originale dans leur conception et dans leur expression et n’empruntent pas à des logiciels déjà créés notamment en les traduisant dans un autre langage ou en les adaptant à d’autres matériels ou à des utilisations spécifiques.
Sont cependant sans incidence sur le caractère original des logiciels :
– leur caractère esthétique ou utilitaire ;
– leur intérêt ou leur utilité ;
– leur nature technique (logiciels d’application ou d’exploitation) »[8].
Si l’originalité d’un logiciel devait in fine être contestée par l’administration fiscale, la preuve de celle-ci pourra notamment être rapportée par voie d’expertise, y compris devant le juge administratif[9].
En tout état de cause, l’originalité d’un logiciel revendiquée par son éditeur doit faire l’objet d’une documentation précise, riche et régulièrement mise à jour par ce dernier.
3. La documentation requise
L’application du régime est subordonnée au respect d’obligations déclaratives à la charge des entreprises exerçant l’option.
Ces entreprises bénéficiaires sont tenues en premier lieu de fournir au titre de chaque exercice l’annexe 2468-SD[10] à l’appui de leur déclaration de résultat. Cette annexe devant être jointe à la déclaration de résultat de l’entreprise, elle doit par conséquent être produite dans les mêmes délais, sous réserve de la possibilité de rectifier dans le délai de réclamation.
De la même façon que pour les dispositifs déclaratifs des crédits impôt recherche (CIR) et crédit impôt innovation (CII), l’application du régime IP Box est subordonnée au respect d’obligations documentaires[11] à la charge des entreprises exerçant l’option.
Toute entreprise exerçant l’option du régime doit ainsi tenir à disposition de l’administration fiscale une documentation justificative complète présentant des aspects techniques et financiers. Le bénéficiaire a ainsi obligation de fournir :
- la nature et la description de chaque actif valorisé. Dans le cas des éditeurs de logiciels, il s’agira de présenter les logiciels originaux développés.
- la description des travaux de R&D liés à la conception de chaque actif,
- les dépenses de R&D retenues pour le calcul des revenus nets, ainsi que pour le calcul du ratio Nexus.
- les recettes retenues par actif pour le calcul des revenus nets
- les détails des calculs permettant d’aboutir au montant global d’IS
- le choix des modes de calcul (éventuels regroupements des actifs en familles et produits).
Les éditeurs de logiciels peuvent utiliser le dépôt à l’Agence pour la Protection des Programmes pour justifier leur titularité sur le logiciel. Ce certificat horodaté délivré par l’APP permet également de matérialiser le contenu de l’actif et de tenir un registre de ses évolutions afin de retracer les mises à jour qui y seront apportées.
L’ensemble des recettes et dépenses présentées doivent impérativement être justifiées par tout document en prouvant la réalité. Ainsi, pour les recettes, doivent être consignés les différents contrats de concession de licences, de cessions de brevets… Pour les éditeurs de logiciels, ceci implique d’avoir une attention particulière à la façon dont les contrats sont formulés puisque seul le montant des licences concédées doit être pris en compte : une vigilance particulière doit être donnée à l’indication claire de la part du prix de la licence dans le prix global payé si d’autres frais sont prévus au contrat (usage de la marque, formation des utilisateurs, maintenance…).
De même, les suivis des temps de R&D, les factures de prestations, les éventuels amortissements de matériels spécifiques permettent de justifier les dépenses de R&D présentées. Ces éléments sont à corréler aux mêmes dépenses présentées dans la déclaration du CIR de l’entreprise et démontrent la convergence et complémentarité des deux dispositifs CIR et IP Box.
Les justificatifs constitués doivent être tenus à la disposition de l’administration fiscale sous un format électronique à la date d’engagement de la vérification de comptabilité, c’est à dire à la date de la première intervention sur place telle que figurant sur l’avis de vérification de comptabilité. Ces justificatifs doivent être actualisés annuellement tout au long de la période couverte par l’option pour le régime. En cas de manquement, l’entreprise se verra infliger une amende de 5% des revenus des actifs déclarés[12].
Les enjeux de ce taux d’imposition réduit peuvent rapidement devenir importants pour des développeurs de logiciels. Il est donc recommandé à tout bénéficiaire de mettre en place un suivi comptable analytique fin afin de déterminer précisément les part de recettes et de dépenses liées aux actifs développés et valorisés, mais également de s’astreindre à une documentation systématique des développements en vue de constituer régulièrement les justificatifs documentaires obligatoires.
[1] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019
[2] L’application du régime de faveur est subordonnée à la condition que l’actif cédé n’ait pas été acquis à titre onéreux depuis moins de deux ans et qu’il n’y ait pas de lien de dépendance entre l’entreprise cédante et l’entreprise cessionnaire (BOI-BIC-BASE-110-20, 22 avr. 2020, § 290 et s.).
[3] BOI-BIC-BASE-110-10, 22 avr. 2020, § 110
[4] BOI-BIC-BASE-110-10; 22 avr. 2020, § 110
[5] Cass. Ass. plén., 7 mars 1986, n° 83-10.477
[6] Cass. 1ère civ., 17 oct. 2012, n° 11-21.641
[7] Cass. 3ème civ., 14 nov. 2013, n° 12-20.687
[8] Ibid.
[9] Cass. 1ère civ., 13 déc. 2005, n° 03-21.154. Voir également dans le même sens : CJUE, 2 mai 2012, C‑406/10, SAS Institute Inc. c. World Programming Ltd. : « ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive ».
[10] BOI-BNC-SECT-30-20 n°20
[11] Voir pour un exemple : CAA Paris, 16 avril 2015, n°13PA01769 puis CAA Paris7 juillet 2016 n°13PA01769
[12] CERFA 16008 « Détermination du résultat net de cession, de concession ou de sous-concession de brevets et d’actifs incorporels assimilés imposable à taux réduit »
[13] Article L13 BA du CGI
[14] Article 1740-0 C du CGI
Auteurs
Pierre-Alexandre Riveccié
Associé
Projets d’Innovation et Partenariats
Dynergie
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