intelligence artificielle et droit d'auteur

Intelligence artificielle et droit d’auteur : comprendre les enjeux

Article rédigé par Thomas CAVACECE

Temps de lecture : 8mn| Protection

L’évolution technologique a été synonyme d’évolution dans le processus créatif des œuvres. Elle a aussi donné naissance à de nouveaux enjeux juridiques. Il est possible de citer l’affaire « Push Button Bertha » de 1956, connue pour être l’un des premiers exemples de composition algorithmique.

Récemment, la prolifération des intelligences artificielles (IA) capables de générer de nouvelles œuvres (images, scénarios, livres, musique, etc.) à partir de simples prompts ou de manière plus indépendante, soulève des questions sur le droit applicable. Ces questions deviennent d’autant plus pertinentes dans le développement de logiciels largement soutenus par des IA, tels que GitHub et son outil COPILOT.

IA et droit d’auteur : le début d’un débat

Bien que cette question puisse sembler accessoire lorsque l’outil n’est qu’une assistance pour le développeur, elle devient essentielle lorsque l’IA génère l’intégralité du code. Il en est de même si l’IA génère l’intégralité d’un roman, d’un tableau, d’un film.

Se pose alors la question suivante. Une œuvre générée par une intelligence artificielle peut-elle être protégée par le droit d’auteur ? Est-il possible de considérer l’intelligence artificielle comme auteur d’une œuvre ?

Œuvre de l’esprit et droit d’auteur

Aujourd’hui, seules les œuvres de l’esprit sont protégeables par le droit d’auteur. Cette qualification est attribuée dès lors que la création répond à deux critères essentiels : une fixation de l’œuvre sur un support et son originalité. Si le premier critère semble être une formalité (car il est difficile de développer un code ou une image sans le fixer sur un support), le second critère est plus complexe et demeure pourtant déterminant pour les droits liés aux œuvres de l’esprit. L’originalité est considérée comme « l’empreinte de la personnalité de son auteur »[1]. Par conséquent, l’originalité est un critère qui lie l’auteur à sa création : sans auteur, il n’y a pas d’originalité, et sans originalité, il n’y a pas de droit d’auteur.

Pour être considérée auteur, l’IA devrait être dotée d’une personnalité

Ainsi, pour qu’une œuvre générée par une IA soit considérée comme originale et puisse bénéficier de la protection du droit d’auteur, il faudrait reconnaître à l’IA le statut d’auteur, dotée d’une personnalité propre capable de s’exprimer à travers son travail créatif.

Le code de la propriété intellectuelle ne donne pas de définition précise de l’auteur. L’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle[2] se limite à déterminer l’attribution de la qualité d’auteur. En l’absence de précisions sur la nature de « celui ou ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée« , les juges ont dû apporter des éclaircissements.

La Cour de cassation a rejeté la qualification d’auteur pour les personnes morales, considérant qu’elles ne peuvent se prévaloir de la qualité d’auteur[3]. Cette position a été confirmée par de nombreuses juridictions, notamment la Cour suprême australienne[4].

Pour aller plus loin, les tribunaux ont également rejeté la possibilité d’accorder à un animal le droit de se porter partie civile, et donc d’être considéré comme auteur d’une œuvre de l’esprit. Cela est illustré par l’affaire du « Monkey Selfie« [5], où un singe nommé « Naruto » avait utilisé l’appareil photo d’un photographe pour prendre plusieurs clichés.

Ces affaires reflètent la volonté des juridictions de n’accorder le statut d’auteur qu’à des êtres humains capables de choix créatifs. En l’absence d’un auteur humain, il est donc impossible d’obtenir des droits d’auteur ou de copyright.

La justice américaine refuse l’octroi de copyright à l’IA

Plus récemment, la justice américaine s’est prononcée sur l’octroi d’une protection par le copyright à des œuvres générées entièrement par des IA. La société Imagination Engines s’est vu refuser cette protection pour les images produites par son modèle d’IA[6]. Cependant, l’affaire n’est pas encore close, car le CEO Stephen Thaler envisage de faire appel de la décision en estimant que la loi doit s’adapter à l’évolution technologique.

Il semble donc actuellement impossible d’obtenir des droits sur des créations générées par des IA, que ce soit pour les œuvres artistiques ou les logiciels soumis aux droits d’auteur et au copyright.

Une volonté de protéger le droit d’auteur français

Une solution avancée par certains auteurs consiste à dissocier l’œuvre de l’auteur et à se concentrer uniquement sur le résultat final, en abandonnant le processus créatif. Cependant, cette solution pourrait affaiblir le droit d’auteur français actuel, dont l’objectif principal est de protéger l’auteur et de lui offrir un monopole d’exploitation pour valoriser ses créations.

Conclusion : le débat reste ouvert et la réglementation se met en place

En conclusion, toutes les juridictions semblent rejeter l’idée d’attribuer la qualité d’auteur à une intelligence artificielle. L’être humain demeure le fondement de la création, et les deux éléments sont indissociables. Ce rejet de qualification entraîne donc l’impossibilité d’obtenir des droits sur les créations générées par les IA.

Cependant, face à la prolifération de ces outils, des questions importantes restent en suspens. Il est donc nécessaire de prévoir un cadre légal adapté pour protéger les utilisateurs, notamment en raison du risque que ces IA puissent utiliser des créations déjà existantes, soumises aux droits d’auteur ou à des licences open-source[7]. Il est donc vital de procéder à des vérifications en cas d’utilisation de ces outils.

Pour anticiper leur utilisation croissante, l’Union européenne a commencé à élaborer un cadre réglementaire[8]. L’objectif est de prendre de l’avance pour encadrer leur utilisation. Il est indéniable que le nombre de décisions et de lois concernant l’intelligence artificielle augmentera dans les prochaines années.

En cas de doute, je vous invite à contacter un avocat spécialisé ou un conseil en propriété industrielle. L’APP vous accompagne dans la protection et la valorisation de vos actifs numériques.

 

[1] CJUE, 16 juillet 2009, C‑5/08

[2] Article L113-1 Code de la propriété intellectuelle : « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. »

[3] Cass. civ. 1re, 15 janv. 2015, n°13-23.566 : « Une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur, […] »

[4] Australia Sup. Court, Telstra Corporation Limited v Phone Directories Company Pty Ltd [2010], FCAFC 149

[5] CA du 9e circuit de Californie, 23 Avril 2018, Naruto & People for the Ethical Treatment of Animals v. D.J.

Slater: “The panel held that the monkey lacked statutory standing because the Copyright Act does not

expressly authorize animals to file copyright infringement suits.”

[6] https://www.usine-digitale.fr/article/la-justice-americaine-decide-que-les-creations-des-modeles-d-ia-generative-ne-sont-pas-soumises-au-copyright.N2162057

[7] https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-premiere-action-judiciaire-contre-github-copilot-88522.html

[8] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle

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