impact environnemental

Réduire l’impact environnemental du numérique : obligations et bonnes pratiques

Article proposé par Addleshaw Goddard

Auteurs : Frédérique Allier et Elisabeth Marrache

Temps de lecture : 9mn| Numérique

Le numérique est aujourd’hui souvent mis en avant comme un levier de la transition écologique par les autorités françaises et européennes. En témoignent notamment la feuille de route du gouvernement français « Numérique et environnement » du 23 février 2021 et les diverses actions prises par l’Union dans le cadre de son « Pacte Vert », lancé en janvier 2020.

En 2021, l’UE annonçait en effet son projet d’investir 22 milliards d’euros dans la recherche de solutions pour lutter contre les émissions des industries à forte intensité énergétique et secteurs difficiles à décarboniser, notamment à travers le développement d’outils d’IA, de technologies fondées sur les données et la robotique.

Le législateur est cependant confronté à une situation paradoxale : les activités liées au numérique polluent.

Selon une étude menée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la Distribution de la Presse (ARCEP), ces activités seraient même aujourd’hui responsables de 2,5 % du total de l’empreinte carbone en France.

Cette pollution augmente de manière exponentielle, notamment en raison de la généralisation de l’utilisation d’Internet et les nouveaux usage (vidéo à la demande, IoT, intelligence artificielle…) et la multiplication des terminaux et des infrastructures sous-jacentes telles que les datacenters.

Aussi, au cours de ces dernières années, nous avons assisté à l’adoption d’un véritable arsenal juridique visant à limiter cet impact néfaste du numérique sur l’environnement.

Ces textes comprennent :

  • La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« loi AGEC») ;
  • L’ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021 visant à moderniser le cadre juridique de la protection des consommateurs quant à l’achat de produits connectés et de contenus et services numériques, transposant deux directives européennes (UE) 2019/770 et 2019/771 du 20 mai 2019 ;
  • La loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (« loi REEN»), dont l’entrée en vigueur s’échelonne entre 2021 et 2026, ou encore ;
  • La loi n° 2021-1755 du 23 décembre 2021 visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Ce cadre juridique complexe est également en pleine construction, de nombreux textes d’application étant toujours en attente de publication et les règles de droit européen en constante évolution.

Concrètement, ont été introduites des obligations de transparence des acteurs concernant l’impact de leurs activités sur l’environnement, d’information des consommateurs mais aussi de mise en place de mesures permettant de responsabiliser les acteurs aussi bien pour les logiciels que pour les équipements numériques.

Comment se conformer à ce nouveau cadre et de quels outils pratiques de sobriété numérique les entreprises disposent-elles ?

 

1. Droits et protection des consommateurs

Les études récentes relatives au poids des activités numériques sur le changement climatique ont conduit à un constat : l’allongement de la durée de vie des appareils et la limitation de leur renouvellement par les consommateurs constitue un terrain d’action prioritaire.

Cette action passe par le renforcement de plusieurs règlementations protectrices des consommateurs déjà existantes.

– Lutte contre l’obsolescence logicielle

Le délit d’obsolescence programmée, introduit en droit français en 2015, s’était avéré être un fondement légal peu efficace, en raison notamment d’un élément intentionnel difficile à caractériser et de l’absence de la prise en compte de l’obsolescence logicielle dans sa définition, pourtant souvent responsable du renouvellement des terminaux.

Des solutions ont été apportées par les lois AGEC et REEN, à travers en particulier :

(i) la modification de la définition légale de l’obsolescence programmée, laquelle vise désormais expressément les logiciels ;

(ii) l’introduction d’obligations d’information et de mise à disposition des mises à jour logicielles, bénéficiant aux vendeurs professionnels et aux consommateurs ;

(ii) l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles et des techniques logicielles limitant la réparation des équipements.

– Renforcement du régime de garantie légale de conformité

La loi AGEC et l’Ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021 ont permis de réformer le régime de la garantie légale de conformité en l’adaptant aux objets et aux services numériques.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, la règlementation applicable étend la garantie légale de conformité :

(i) aux « biens comportant des éléments numériques », lesquels bénéficient désormais du régime de garantie légale applicable aux produits que nous connaissons ;

(ii) aux contenus et services numériques, qui font désormais l’objet d’un régime analogue à celui prévu pour les biens physiques, avec un allongement des délais de garantie en cas de fourniture continue d’un service.

– Promotion de la réparation des terminaux

D’autres dispositions de la loi AGEC sont directement liées à la promotion de la réparation :

(i) certains appareils électriques et électroniques (smartphones, ordinateurs portables et téléviseurs – les tablettes numériques feront bientôt l’objet d’un indice européen) doivent, depuis 2021, être associés à un indice de « réparabilité » qui doit évoluer, à compter de janvier 2024, en un indice de « durabilité », et ;

(ii) de nouvelles obligations d’information et de mise à disposition des pièces détachées ont été introduites dans le code de la consommation.

 

2. Responsabilisation des professionnels du numérique

Les récentes évolutions législatives en faveur de la réduction du bilan environnemental du numérique marquent par ailleurs l’introduction de plusieurs obligations innovantes à la charge de divers opérateurs acteurs du secteur.

– Sobriété et RGPD

Les obligations prévues par le Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 permettent, de manière incidente, une sobriété de la consommation des données. En particulier, celui-ci impose un principe de minimisation des données, au titre duquel seules les données strictement pertinentes et nécessaires à l’objectif poursuivi devraient être traitées.

– Opérateurs de plateformes et fournisseurs de services numériques

Diverses obligations liées à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique pèsent désormais sur les opérateurs de plateformes.

  • La loi AGEC a notamment :

(i) étendu le principe de « responsabilité élargie du producteur » (REP) aux plateformes de vente en ligne, tenues depuis le 1er janvier 2022 de contribuer à la gestion des déchets qui proviennent de cette activité ;

(ii) imposé aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et aux opérateurs de communications électroniques, depuis le 1er janvier 2022, d’informer leurs abonnés de la quantité de données consommées dans le cadre de la fourniture d’accès au réseau ainsi que de l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre correspondant.

  • Au titre de la loi REEN, les opérateurs de communications électroniques réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un certain seuil sont en outre soumis à une obligation de publication des indicateurs clefs sur leurs politiques de réduction de leur empreinte environnementale.

– Opérateurs de Data centers

La loi REEN s’est par ailleurs intéressée aux activités énergivores des centres de données, qui doivent désormais répondre à certaines obligations en matière de valorisation de la chaleur fatale et d’optimisation de l’utilisation de l’eau à des fins de refroidissement, en respectant des indicateurs chiffrés devant encore être fixés par décret.

A noter que ces opérateurs ont récemment été appelés à mettre en place des mesures de sobriété énergétique par le gouvernement français, dans son « Plan de sobriété énergétique » publié le 6 octobre dernier (e.g. : définition de critères de paramétrage des box internet et décodeurs TV pour une mise en veille en cas de non-utilisation ; limitation du recours à la climatisation dans les salles des centres de données…).

– Interdiction du « Greenwashing »

Deux décrets parus le 13 avril 2022 ont introduit en droit français un régime d’interdiction (décret n° 2022-539) et de sanction (décret n° 2022-538) de la pratique de l’écoblanchiment, en anglais « Greenwashing ».

Ainsi, à partir du 1er janvier 2023, toute allégation de neutralité carbone par une entreprise dans une campagne publicitaire devra être accompagnée de la publication d’un rapport de synthèse décrivant l’empreinte carbone du produit ou service en question et la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées, puis réduites, et enfin compensées.

 

3. Sobriété numérique : les bonnes pratiques

– Les méthodes d’évaluation de l’ADEME

L’ADEME décrit sur son site Internet 19 méthodes d’évaluation environnementale pouvant être utilisées par les entreprises soucieuses de réduire l’impact de leurs activités sur le réchauffement climatique, et met à disposition un « guide méthodologique » permettant de déterminer laquelle de ces méthodes est la mieux adaptée.

La normalisation internationale ISO (14040 à 14043) a fixé les bases méthodologiques et déontologiques de ce type d’évaluation, favorisant une harmonisation de la méthodologie employée.

Selon l’ADEME, l’outil le plus abouti en matière d’évaluation globale et multicritère des impacts de produits ou de services sur l’environnement est l’ « analyse du cycle de vie » (ACV).

Celle-ci repose sur une double approche, tenant compte d’une part du cycle de vie de chaque produit ou service visé et d’autre part de plusieurs critères d’analyse des flux entrants (matières et énergie) et sortants (déchets, émissions gazeuses, liquide rejeté, etc.) impliqués.

– Exemples de bonnes pratiques

La mise en œuvre d’une stratégie de sobriété numérique au sein d’une entreprise passe par diverses actions, notamment liées à :

  • la sensibilisation des collaborateurs aux bonnes pratiques d’usage de leur matériel informatique ;
  • la gouvernance (e.g. désigner une équipe dédiée et lui attribuer les ressources nécessaires) ;
  • la réduction de l’impact lié aux équipements informatiques et aux logiciels (e.g. limitation de leur renouvellement, promotion de la réparation, désinstaller les programmes superflus, éviter l’installation de mises à jour non nécessaires…).

Ces actions passent notamment par la contractualisation. Elles impliquent :

  • d’une part, la revue de la documentation interne (Charte informatique, notice informative à l’attention des salariés, politique RSE…) et ;
  • d’autre part, le choix des fournisseurs et la négociation des conditions contractuelles (intégration des bonnes pratiques d’écoconception et d’accessibilité dans les contrats relatifs à des prestations externes, négociation des durées de services de maintenance…).

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