Comprendre la brevetabilité des logiciels et ses spécificités

Comprendre la brevetabilité des logiciels et ses spécificités

Article rédigé par Garance GONNET PRINCE, juriste PI à l’APP.

Temps de lecture : 4mn| Propriété Intellectuelle

La protection de leurs droits de propriété intellectuelle est au cœur des préoccupations des entreprises. Le brevet apparait souvent comme le parfait outil pour protéger et valoriser ses créations. Le monopole d’exploitation qu’il confère permet au titulaire de droits de rentabiliser ses investissements tout en lui assurant un avantage compétitif sur ses concurrents. Le brevet permet en effet d’interdire toute utilisation, fabrication, importation, etc. de son invention sans son autorisation, et ce pour une durée maximale de 20 ans. C’est un élément de l’actif immatériel de l’entreprise, qui peut être valorisé et transmis.

 

Mais qu’en est-il de la protection d’un logiciel par le droit des brevets ?

Un brevet ne peut pas être délivré en Europe sur un code source. Les codes sources relèvent uniquement de la protection par le droit d’auteur.

Seules les fonctionnalités du logiciel, éventuellement couplées à du matériel, peuvent faire l’objet d’une protection par brevet.

Les inventions mises en œuvre par ordinateur (selon la terminologie de l’Office européen des brevets), sont traitées comme les autres inventions relevant de technologies plus classiques : c’est-à-dire que seul un logiciel qui résout un problème technique d’une manière nouvelle et non évidente peut être breveté.

Un procédé comprenant une série d’étapes visant à résoudre un problème technique peut être protégé par brevet, même si ce procédé est mis en œuvre au moyen d’un logiciel. Le procédé en question peut contrôler un matériel externe (comme par exemple un bras robotisé) ou bien s’exécuter de manière purement interne dans un ordinateur.

 

Quoi qu’il en soit, pour être brevetable, un logiciel doit répondre à quatre conditions  :

  • ne pas être exclu du champ du domaine de la brevetabilité ;
  • être susceptible d’application industrielle ;
  • être nouveau ;
  • impliquer une activité inventive.

 

Les exclusions

La loi prévoit que les brevets protègent les « inventions ». On ne trouve en droit français aucune définition légale de ce qu’est une invention. Il existe en revanche une liste d’exclusions. L’article L611-10 du Code de la Propriété intellectuelle (CPI) exclut notamment :

  • les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
  • les créations esthétiques ;
  • les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ;
  • les présentations d’informations.

 

L’Office Européen des Brevets (OEB) a tendance à interpréter de façon restrictive l’exclusion de brevetabilité frappant les programmes d’ordinateur. L’OEB estime qu’un programme d’ordinateur n’est pas exclu de la brevetabilité si sa mise en œuvre sur un ordinateur produit un effet technique supplémentaire allant au-delà des interactions normales entre programme et ordinateur.

Une invention, quelle que soit sa nature, ne sera pas exclue de la brevetabilité si elle présente un caractère technique, ce dernier devant être apprécié indépendamment de toute référence à l’état de l’art. La conséquence de cette position de l’OEB est que le champ du domaine de la brevetabilité se retrouve élargi, seules les inventions n’ayant aucun rapport avec la technique étant exclues.

Il faut également souligner que la loi précise que les éléments énumérés à l’article L611-10 du CPI ne sont exclus de la brevetabilité que « dans la mesure où la demande de brevet ou le brevet ne concerne que l’un de ces éléments considéré en tant que tel ». Dès lors que l’invention contient un de ces éléments mais n’est pas pour autant constituée uniquement de l’un de ces éléments, alors l’invention prise dans son ensemble n’est pas exclue de la brevetabilité.

Si cette première condition semble en pratique assez facile à remplir, il ne s’agit que de la première étape à passer pour obtenir un brevet : il faut en plus que le logiciel soit susceptible d’application industrielle, soit nouveau et implique une activité inventive.

 

L’application industrielle et la nouveauté

L’article L611-15 du CPI prévoit que « Une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture. »

 

Le terme « d’industrie » ne doit pas être compris au sens économique (comme secteur secondaire). Il doit être compris au sens étymologique comme faisant référence à toute activité humaine.

Les termes « fabriqué » et « utilisé » renvoient respectivement aux inventions de produits et aux inventions de procédés ou de dispositifs.

Enfin, l’invention doit être seulement susceptible d’application industrielle. L’objet « peut » être fabriqué ou utilisé. On exige une simple potentialité. Peu importe la valeur, l’intérêt de l’invention. On a parfois des inventions qui ne seront jamais exploitées ou qui ne seront exploitées que des années plus tard : cela ne constituera pas un obstacle à l’obtention d’un brevet.

Concernant la nouveauté, l’article L611-11 du CPI prévoit que « Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique.

L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date du dépôt de la demande de brevet […]. »

« L’état de la technique » ne désigne pas toutes les connaissances acquises, mais seulement celles qui ont été divulguées.

 

Deux types d’évènements ruinent la nouveauté d’une invention :

  • les divulgations, qui correspondent aux cas où la révélation de l’invention résulte du déposant lui-même par maladresse ou par le biais d’un tiers malhonnête ;
  • les antériorités, qui correspondent aux cas où la révélation de l’invention résulte d’un tiers de bonne foi.

 

Il n’est pas obligatoire de vérifier la nouveauté de son invention avant de déposer une demande de brevet mais s’en dispenser peut s’avérer très risqué stratégiquement et financièrement. Procéder à cette vérification permet d’augmenter ses chances d’obtenir son brevet mais aussi de s’assurer de ne pas réaliser un acte de contrefaçon.

Les critères de nouveauté et d’application industrielle sont assez peu utilisés lors de l’examen des demandes de brevet relatives aux inventions mises en œuvre par ordinateur. C’est l’appréciation de l’activité inventive qui, en pratique, est l’étape la plus importante de toutes.

 

L’activité inventive

L’article L611-14 du CPI prévoit que « Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. »

L’appréciation se fait à travers 3 éléments : l’état antérieur de la technique, la perspective de l’homme du métier et la non-évidence. Il convient donc de se demander pour chaque revendication définissant l’invention si, compte tenu de l’état de la technique, il n’aurait pas été évident pour un homme du métier de parvenir à l’objet défini par cette revendication.

 

Pour apprécier l’activité inventive de la manière la plus objective possible, l’OEB a développé depuis de nombreuses années une approche dite « approche problème-solution ». Cette approche se compose de trois étapes :

  • déterminer la divulgation de l’état de la technique la plus proche ; c’est-à-dire que l’on va chercher la divulgation qui vise à obtenir des effets semblables à l’invention.
  • déterminer le problème technique que résout l’invention, en considération de la divulgation de l’état de la technique la plus proche.
  • établir si la solution apportée par l’invention au problème technique (identifié à la deuxième étape), était ou non évidente pour l’homme du métier en considération de l’état de la technique (identifié à la première étape).

 

Cette approche s’avère très efficace pour rejeter les inventions mises en œuvre par ordinateur dont le caractère technique consiste exclusivement à utiliser des moyens techniques connus.

 

Conclusion

L’exclusion des programmes d’ordinateurs en tant que tels prévue par la loi a progressivement été atténuée. Aujourd’hui, les logiciels peuvent, sous certaines conditions, être protégés par le droit des brevets en complément de la protection offerte par le droit d’auteur.

Cette question de la protection des logiciels par le droit des brevets a beaucoup évolué, et est amenée à continuer d’évoluer, avec le temps et avec l’avancée de la technologie.

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