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Un nouveau regard sur la charge de la preuve de l’originalité des œuvres

Article rédigé par Thomas CAVACECE

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Temps de lecture : 3mn| Propriété intellectuelle

Le 6 juillet 2023, le Sénat a présenté une proposition de loi visant à modifier l’article L112-1 du Code de propriété intellectuelle[1], en insérant un nouvel alinéa : « Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise. » [2]

Dans le domaine du logiciel, l’auteur (ou le titulaire de droits) se voit accorder un monopole d’exploitation sur celui-ci. Ce monopole permet alors à l’auteur (ou le titulaire de droits) d’interdire l’exploitation, la distribution ou la copie de son œuvre.

Cependant, pour obtenir cette protection, un logiciel (une œuvre) doit être qualifié d’œuvre de l’esprit. Il doit alors remplir deux conditions cumulatives : être fixé sur un support (et donc sortir du domaine de l’idée, du concept) et être original.

 

La condition d’originalité s’entend comme « effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur »[3].

La question de l’originalité et de la charge de la preuve est un sujet largement abordé dans le domaine des logiciels. Il est alors intéressant d’étudier cette proposition, les changements qu’elle pourrait opérer et les raisons qui poussent les praticiens du droit, les spécialistes en propriété intellectuelle et les législateurs à réclamer un changement.

 

I – L’originalité comme barrière au droit d’auteur

À l’origine, les contentieux en contrefaçon étaient confiés au juge du Tribunal de commerce, qui condamnait largement cette violation des droits. Cependant, en 2007[4], un revirement opéré par le législateur a accordé au juge judiciaire la compétence pour traiter les sujets de contrefaçon.

Ce transfert de compétence a amorcé un durcissement de la jurisprudence dans le traitement des actions en contrefaçon. De plus, la multiplication des litiges dans le domaine du logiciel et la complexité de ces œuvres ont transformé la démonstration d’originalité en un exercice de gymnastique intellectuelle.

Pour rappel, la preuve incombe à celui qui revendique un droit. Dans le cas d’une action en contrefaçon, le demandeur (l’auteur ou le titulaire de droits) doit donc commencer par prouver deux éléments : la titularité des droits et l’existence d’une création de l’esprit, ce qui implique donc de démontrer l’originalité de son œuvre.

La difficulté de la démonstration de l’originalité résulte, entre autres, de l’exigence des jurisprudences à dépasser la description purement technique ou descriptive de l’œuvre[5].

La tendance jurisprudentielle à apprécier plus sévèrement l’originalité et la complexité technique des logiciels, ont eu pour effet de limiter la qualification des logiciels comme “œuvres de l’esprit” protégées par le droit d’auteur.

À cela vient s’ajouter la systématisation de la contestation de l’originalité dont l’objectif est de bloquer ou décourager le demandeur.

Face à cette situation, le Sénat, appuyé par de nombreux praticiens du droit et par le CSPLA, propose une modification simple qui pourrait rééquilibrer les chances et permettre aux auteurs et aux titulaires de droits de faire valoir leurs droits.

 

II – L’objectif du renversement de la preuve en matière d’originalité

Nous l’avons abordé précédemment, l’auteur ou le titulaire de droits, demandeur dans une action en contrefaçon, doit démontrer, ou apporter la preuve de l’originalité de son œuvre.

Or cet exercice ardu complexifie grandement la reconnaissance d’un logiciel comme œuvre de l’esprit et donc l’attribution des droits.

La proposition de loi portée par le Sénat a pour but de renverser la charge de la preuve. Ainsi, la démonstration de l’originalité, à l’origine imposée au demandeur, se transformerait en une démonstration prouvant l’absence d’originalité, imposée au défendeur.

Il s’agit en l’espèce de transformer l’exercice complexe et quasi impossible qu’est la démonstration de l’originalité en une obligation de démontrer la légitimité des faits imputés au défendeur.

 

III – Les solutions de recours alternatives au droit d’auteur

Bien que l’action en contrefaçon reste une arme de dissuasion et un atout majeur pour protéger ses droits, il est pertinent de rappeler que d’autres options existent.

En effet, avant de se lancer dans une action juridique complexe, longue et coûteuse, il est pertinent d’étudier les circonstances et les liens entre le demandeur et le défendeur.

Une violation de licence, qui par exemple, peut se matérialiser par un abus d’usage, peut être appréhendée sur le terrain de la responsabilité contractuelle.

Il existe aussi des actions fondées sur la concurrence déloyale[6] ou le parasitisme[7].

En cas de doute, il faut en priorité se tourner vers un avocat spécialisé qui pourra vous orienter et vous conseiller.

 

IV – Conclusion

En conclusion, le droit d’auteur est un outil de protection efficace et pensé pour prémunir l’auteur (ou le titulaire de droits) contre toutes atteintes à son œuvre. Cependant, la complexité du domaine du numérique associée au durcissement de l’appréciation de l’originalité ont transformé l’action en contrefaçon en un exercice des plus ardus qui décourage bon nombre de titulaires de droit.

Le renversement de la charge de la preuve, proposé par le Sénat pourrait amorcer une mutation qui permettrait une meilleure valorisation de ce droit dont l’objectif premier est de protéger les auteurs.

Sachez que vos dépôts auprès de l’APP ne vous aident pas seulement à prouver la date certaine de votre œuvre mais aussi à matérialiser son existence. Ils peuvent aussi être exploités à titre de preuve dans des actions en concurrence déloyale ou parasitisme

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[1] Article L112-1 CPI : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

[2] https://www.senat.fr/leg/ppl22-860.pdf

[3] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 avril 2013, 10-16.063

[4] Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon

[5] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 8 novembre 2017, 16-22.105

[6] La concurrence déloyale est le fait, dans le cadre d’une concurrence autorisée, de faire un usage excessif de sa liberté d’entreprendre, en recourant à des procédés contraires aux règles et usages, occasionnant un préjudice.

[7] Le parasitisme est le fait de tirer indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par une entreprise, victime des agissements de la personne qui usurpe la notoriété acquise par ce concurrent.

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